C’est également cette partie du cerveau qui permet la conscience de soi. Et le fait d’être conscient d’être un individu unique conduit à pouvoir s‘interroger sur sa valeur personnelle et porter un jugement moral sur ses propres actions. Un trop faible égo génère inévitablement une forme de souffrance, car on a besoin d’avoir une image positive de nous-mêmes. Il faut pour cela que nos comportements soient en accord avec nos valeurs, lesquelles sont en grande partie relatives à chaque individu. C’est pour cette raison que l’on peut ressentir beaucoup de satisfaction, voire même une certaine forme de plaisir, lorsque, par exemple, on vient en aide à un inconnu, ou que l’on donne de l’argent à une association humanitaire.
Ces nouvelles capacités cognitives conduisent également l’Homme à se poser des questions d’ordre existentielle, le genre de questions que ne se pose probablement pas un pigeon, ni même un chimpanzé : Comment s’est créée la Terre ? Pourquoi suis-je venu au monde ? Et surtout : que se passe-t-il après la mort ? C’est l’une des raisons qui peuvent expliquer que très tôt dans l’histoire humaine on observe l’éclosion de religions, et ce dans toutes les civilisations. Celles-ci permettaient notamment de donner des réponses à toutes ces questions, et donc d’échapper à cette sorte d’angoisse existentielle. Au cours des derniers siècles, leur influence a décliné dans les pays occidentaux, probablement en partie car entre temps certaines questions ont pu être – au moins partiellement – éludées par la science. Mais d’autres ne le pourront jamais, et il tient donc à chacun de trouver soi-même ses réponses. La question de savoir quel est le sens de sa vie est probablement l’une de celles auxquelles on a le plus de mal à répondre de nos jours. Parmi les témoignages de personnes qui ont décidé de changer brutalement de vie pour s’investir pleinement dans une “cause”, on retrouve souvent des gens dont la vie semblait pleinement accomplie mais qui nourrissaient un sentiment d’insatisfaction. L’histoire de Jean-Marc Potdevin, le fondateur de l’application Entourage, illustre à mon avis très bien ce phénomène [7]. Même lorsque l’on peut manger à sa faim, dormir sous un toit, que l’on a une vie familiale, affective, professionnelle épanouie, que l’on se sent estimé par ses pairs, il peut manquer tout de même quelque chose. Certains vont chercher ces réponses en renouant avec la religion, d’autres dans l’engagement politique, associatif ou humanitaire, d’autres dans le développement personnel ou dans des formes de “spiritualités laïques”,… Pour certains, s’engager dans la protection de l’environnement est leur façon de retrouver ce sens en se dévouant à un combat qui les transcende, un peu comme le communisme à sa grande époque. Béa Johnson l’explique de façon assez lucide dans son livre “Zéro Déchet”. Elle faisait typiquement partie de ces gens qui ont “tout pour être heureux”, mais qui ressentent tout de même comme un vide. Adopter un mode de vie stricte pour réduire son volume de déchets et militer pour promouvoir ce genre de changements est alors le moyen qu’elle a trouvé pour redonner plus de sens à son existence. Car la lutte contre le réchauffement climatique est précisément le genre de cause qui nous dépasse, à la fois dans le temps, car ce sera surtout les générations suivantes qui en subiront les conséquences, et dans l’espace, car elle concerne toute la planète donc toute l’humanité et même toutes les espèces vivantes.
Prenons aussi un exemple chez les activistes : qu’est-ce qui motive un militant Greenpeace à escalader un réacteur nucléaire pour y poser une banderole ? Probablement pour une part le besoin de se sentir appartenir à cette organisation et à ce mouvement, sûrement aussi un peu le besoin d’être estimé, voire admiré, mais aussi l’envie de faire avancer les choses positivement, d’agir pour un “monde meilleur”. Et pourtant, moi qui suis favorable au maintien du parc nucléaire (car considérant qu’en sortir se ferait forcément au détriment de la lutte contre le réchauffement climatique), je vais plutôt avoir tendance à penser que son action est néfaste pour l’environnement et qu’elle va contre l’intérêt général, bien que je ne doute pas qu’il soit animé de bonnes intentions. C’est qu’encore une fois le concept “d’agir pour un monde meilleur” est quelque chose de subjectif, cela dépend directement de notre cadre de croyances : de la façon dont on se représente ce que serait un “monde meilleur”, et des moyens que l’on pense nécessaire de mettre en oeuvre pour l’atteindre. Et si c’est évident qu’un communiste et un militant libéral n’auront pas le même avis sur ces deux points, l’application de Jean-Marc Entourage ne fait pas non plus l’unanimité parmi les associations d’aide aux sans-abris [8], certains pourraient accuser Béa Jonhson de plomber l’économie et de générer du chômage en promouvant son mode de vie, et moi-même je sous-entends sûrement dans ce blog que c’est dans l’intérêt général de préserver l’environnement, alors qu’il s’agit simplement de mon avis. On peut même se dire que les nazis ou les djihadistes étaient tout aussi convaincus d’agir pour un monde meilleur, et de la même façon ils ont trouvé dans leur cause un moyen de se transcender et de redonner plus de sens à leur vie. Sans pousser le relativisme moral jusqu’à ces extrêmes, il est clair qu’on ne peut pas dire que cette énergie sera forcément dirigée dans le bon sens, puisque ce n’est pas possible de déterminer de façon absolue quel sens est le bon.
Je pense qu’il est indispensable de considérer tous ces aspects lorsque l’on essaye de mettre en place des initiatives visant à encourager les gens à changer de comportements. Marteler des arguments en faisant appel à la raison sera rarement suffisant. Peu de monde acceptera de changer ses habitudes si cela signifie de passer pour un paria, tandis que l’on sera d’autant plus enclin à modifier nos comportements si cela nous permet de renforcer notre appartenance à un groupe ou de donner à voir une image valorisante de nous-même. Par exemple, l’idée de mettre en compétition des familles ou des écoles pour réduire la consommation de leur bâtiment me semble très intelligente de ce point de vue là [9]. De même que les campagnes “Cool Biz” lancées chaque été par le gouvernement japonnais, qui visent à changer les normes vestimentaires dans les entreprises pour réduire le recours à la climatisation (et notamment cette photo du premier ministre et de ses collègues qui donnent l’exemple en chemisettes dans son bureau) [10].
Car il faut être un peu pragmatique, si l’on réussit à leur éviter le désastre, nos petits enfants s’en moqueront de savoir quels besoins ça nous a permis d’assouvir.
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[7] J’ai suivi un peu son histoire car il s’agit d’une connaissance. Il faisait partie des fondateurs de Kelkoo, un des fleurons du web du début des années 2000, avant qu’elle ne soit rachetée par Yahoo dont il deviendra le vice-président. Quelques années plus tard, il arrête de travailler et entreprend un pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle. Sur le chemin, il vit une expérience mystique à propos de laquelle il écrira un livre. Son application “Entourage”, qu’il a lancé il y a quelques mois, a pour objectif de lutter contre l’isolement des sans-abris.
http://www.entourage.social/
https://www.lesechos.fr/economie-france/social/030342324050-jean-marc-potdevin-invente-un-reseau-social-pour-briser-lisolement-2088811.php
http://www.la-croix.com/Jean-Marc-Potdevin-entrepreneur-quete-humanite-2016-01-25-1200735064
[8] http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20160407.RUE2611/controverse-autour-d-une-appli-pour-aider-les-sdf.html
[9] Quelques exemples :
http://www.familles-a-energie-positive.fr
http://cube2020.org/france/
[10] http://www.lemoniteur.fr/article/confort-d-ete-au-japon-avant-de-monter-la-clim-on-retire-sa-veste-24728911
Il me semble qu’il manque à cette brillante réflexion la prise en compte du formatage des opinions, on pourrait dire, à toutes les époques. Le capitalisme et son dieu l’argent ayant pris le relais des religions. La question est de savoir si une société pourrait exister sans qu’il soit possible qu’une minorité puisse s’approprier les moyens du formatage de la majorité à servir ses intérêts. En l’occurence, à la surconsommation, c’est à dire à l’achat d’un tas d’objets dont on a aucun besoin et pour lesquels, il nous faut travailler plus. Cela pourrait donner naissance à une société où chacun serait amené à développer sa propre individuation, ses propres talents et ses capacités d’expression sans esprit de concurrence
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Juste wahouuu, 2 articles lus et je crois que j’ai plus envie d’arrêter. C’est passionnant comme ces analyses sont bien faites.
C’est vrai que le lien de la « mode » écologique avec le besoin d’appartenance et d’estime n’est pas si pertinent quand on y pense pas. Mis en corrélation ici montre bien qu’en fait la prise de conscience sera faite par tous sauf par ceux qui ne veulent pas « entrer dans le moule ». Par contre c’est inquiétant, parce que ça peut vouloir dire qu’une fois la mode adoptée par tous, une autre fera son apparition derrière et on ne sait pas quels effets elle aura…
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[Juste wahouuu, 2 articles lus et je crois que j’ai plus envie d’arrêter. C’est passionnant comme ces analyses sont bien faites.]
Merci beaucoup c’est encourageant! 🙂
[Mis en corrélation ici montre bien qu’en fait la prise de conscience sera faite par tous sauf par ceux qui ne veulent pas « entrer dans le moule ».]
En fait je pense qu’on veut tous, consciemment ou non, “entrer dans un moule”, même s’il ne s’agit pas toujours des mêmes moules. Ceux qui veulent sortir du moule (disons “mainstream”) entrent généralement dans le même temps dans un autre moule “rebelle”, comme c’est fréquemment le cas chez les jeunes, à une âge où on a besoin de construire son identité.
Et je pense qu’au contraire à l’ère de la société de consommation, dans les “moules rebelles” ils vont souvent avoir tendance à se distinguer en adoptant un mode vie plus sobre et à priori plus écolo, donc à être plutôt des précurseurs du changement. Mais pour que leur adhésion au mouvement soit nette ils sont souvent tentés de le pousser jusqu’aux extrêmes, on peut penser par exemple au mouvement vegan ou aux zadistes.
[Par contre c’est inquiétant, parce que ça peut vouloir dire qu’une fois la mode adoptée par tous, une autre fera son apparition derrière et on ne sait pas quels effets elle aura…]
En effet on peut se dire ça, mais je pense qu’il s’agit de changements de société bien plus profonds que des modes comme Pokémon Go ou les claquettes-chaussettes, qui apparaissent en quelques jours et disparaissent aussi vite. C’est pour ça aussi qu’ils mettent bien plus de temps à s’installer.
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Aujourd’hui, où nous sommes plus de 7,5 Milliards sur Terre et avec autant de façons de pensées à la fois différentes mais aussi proches, il n’est plus possible d’avoir une pensée ou un mode de vie unique. Ils seront toujours au moins 2 à adopter la même façon de faire
Donc oui, aujourd’hui on change de moule pour en intégrer un autre.
Les « modes » qui prennent plus de temps à s’installer mettent aussi plus de temps à disparaître et c’est tant mieux dans un sens mais ce qu’on peut voir aussi c’est que les modes du passées font leur retour tôt ou tard et donc, peut être que c’est aussi un changement sans fin
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