L’exemple de l’alimentation permet également de se rendre compte de l’importance de l’étiquetage environnemental, donc d’outils pour permettre au producteur de certifier au consommateur qu’il s’est plié à des exigences supplémentaires pour diminuer l’empreinte écologique de ses produits. Si vous avez deux tomates exactement pareilles devant vous et que l’une est plus chère, vous n’avez a priori aucune raison d’acheter celle-ci. Sauf s’il y a une garantie qu’elle a été produite suivant des méthodes plus respectueuses de l’environnement et que cela explique au moins en partie la différence des tarifs. Le système des labels – comme AB (Agriculture Biologique) – présente déjà l’inconvénient de ne fonctionner qu’en “tout ou rien” : soit on a le label, soit on l’a pas. Et celui-ci ne concerne qu’un critère particulier (en l’occurrence le fait de ne pas avoir recours à des produits de chimie de synthèse), mais ne garantit par exemple rien sur son bilan carbone. L’idéal serait probablement qu’un ou plusieurs indicateurs environnementaux fasse partie des mentions obligatoires de tous les produits commercialisés (notamment le bilan co2), de façon analogue à la “Déclaration Nutritionnelle” des denrées alimentaires. Plus le consommateur aura d’informations sur l’empreinte environnementale des produits, et plus il se retrouvera face à ses responsabilités et pourra décider en toute connaissance de cause de payer – ou non – un peu plus cher pour rendre service à la planète. Parallèlement, lorsqu’il prend en compte ces critères, les producteurs les plus écolos acquièrent un avantage commercial, et mécaniquement cela incite les autres à faire des efforts pour diminuer leur empreinte afin de conserver leurs parts de marché.
En plus de permettre de comparer deux produits de même catégorie (par exemple une pâte à tartiner à l’huile de palme avec une à l’huile de tournesol), cela permettrait aussi de comparer des produits de catégories différentes (comme l’impact d’un kilo de poulet avec celui d’un kilo de boeuf). Donc non seulement de changer de fournisseurs mais aussi – en prenant conscience de quelles habitudes de consommation sont les plus néfastes – de changer son mode de vie. Évidemment généraliser l’étiquetage environnemental à tous les produits sera très complexe, car cela requiert une certaine organisation, cela représente un coût, et le choix du ou des indicateurs et la manière dont ils seront évalués sera forcément discutable. Néanmoins on peut constater que des efforts sont réalisés en ce sens, notamment au niveau de l’Ademe, et des expériences sont régulièrement menées dans la grande distribution [10].
Mais en fait jusque là on discutait seulement de l’empreinte environnementale du cycle de vie d’un produit donné par unité, sans se préoccuper de la quantité effectivement produite. Mais lorsque l’on calcule, par exemple le bilan de carbone d’un individu, d’une famille, ou d’un pays, il faut multiplier à chaque fois ce chiffre par le nombre de biens en question et faire la somme. Allez, une petite équation (c’est toujours sympa) : Dans un article précédent où je comparais les bilans carbone de deux individus [11], la différence s’expliquait en fait principalement au niveau des quantités de produits qu’ils consommaient (donc le terme en rouge). Les deux avaient acheté du gaz pour se chauffer, du béton et de l’acier pour construire leur logement, du fromage pour la fondue du réveillon,… Peut être même qu’ils avaient tous les deux acheté le même modèle de téléphone, la différence étant que l’un l’a gardé 10 ans, tandis que l’autre l’a changé l’année suivante pour un autre plus récent. Et si l’on peut toujours discuter pour savoir si la production d’un exemplaire de ce modèle-là émet beaucoup de co2 par rapport aux autres, ce qui est sûr c’est qu’en produire deux polluera toujours plus que n’en produire qu’un seul. Et alors, qui est responsable du fait que l’on achète trop d’habits, que nos logements sont trop spacieux, ou que l’on mange trop de viande ? Il faut se demander de nouveau quelles marges de manœuvre ont chacun des acteurs. Pour le consommateur c’est vite vu, mais le producteur de son côté, comment pourrait-il agir sur cela ? Certes, il pourrait toujours se dire par exemple en octobre “j’en ai déjà vendu beaucoup cette année, j’arrête d’en produire jusqu’à janvier autrement c’est pas durable pour la planète”. Mais on imagine bien cela n’aurait pas beaucoup d’intérêt, dans un marché concurrentiel quelqu’un d’autre le produira à sa place, il ne réduira pas le volume du marché mais seulement ses parts. Certes, dans beaucoup de cas on va aussi changer notre matériel électroménager ou nos appareils électroniques parce qu’ils sont tombés en panne, et on peut se dire que c’est de la responsabilité du constructeur de fabriquer des produits ayant une durée de vie plus longue. Mais là aussi on en revient à la question de savoir si, de son côté, le consommateur est prêt à acheter un objet un peu plus cher, un peu moins “high-tech” et un peu moins jolie, si on lui garantit que les composants sont de meilleure qualité et qu’il sera plus facilement réparable.
Alors finalement, où sont les coupables ? À l’autre bout du fil l’opérateur commence à s’impatienter, il va bien falloir lui donner une réponse. Probablement un peu à la fois les gouvernements, les entreprises et les citoyens, mais derrière leurs responsabilités il y a celles, entremêlées, d’un peu chacun de nous. D’une certaine façon cela dépendra aussi du mode de production et de l’organisation politique du pays en question. On pourrait dire que plus l’économie sera régulée et la production socialisée, et plus la responsabilité devra être endossée par l’individu dans son rôle d’électeur (voire d’élu). Tandis que plus on se dirigera vers une économie libérale, et plus il en incombera à l’individu en tant que consommateur et producteur (employé ou épargnant). Mais dans tous les cas il y en aura qui auront un pouvoir de décision plus grand que d’autres, et ce n’est donc pas forcément illégitime que l’on mette à leur compte une part de responsabilité plus importante. Désespéré, notre sondeur finira sûrement par nous raccrocher au nez, ne manquant pas de nous expliquer une dernière fois que dans son questionnaire il n’y a pas de place pour les réponses nuancées, que de toute façon cela n’intéresse personne, et qu’au final tout ce dont on a besoin c’est d’une tête à couper.
[10] http://www.ademe.fr/particuliers-eco-citoyens/achats/dossier/achats-ecologiques-suivez-ecolabels/nouvel-affichage-environnemental-produits